L’Empire Immobile – Alain Peyrefitte
Je dois vous l’avouer d’entrée, quand j’ai pris ce livre à la base, je savais que je râlerais pas mal contre lui. ^^ Ayant déjà lu du Alain Peyrefitte, et connaissant sa réputation dans le monde sinologique, je savais que je tenais entre les mains un ouvrage absent des références sinologiques, non pas parce qu’il n’est pas fiable, ou incomplet, mais pour toutes les raisons que je vais vous expliquer tout de suite. ^^
Mais avant de vous montrer ce qui peut beaucoup déranger dans le livre d’Alain Peyrefitte, je vais commencer par les points positifs : premièrement, c’est ultra-documenté. Le travail de recherche de Peyrefitte est énorme, et sa bibliographie en fin d’ouvrage est vraiment très fournie en essais et autres témoignages. C’est quelque chose qui est souvent remarquable dans ses bouquins : le sujet vous est livré avec moult détails.
Ce livre est essentiellement le récit du voyage de l’ambassade de Macartney à partir de 1792 et dure ensuite jusqu’à l’avènement de la première république de Chine, en 1911. Cette ambassade anglaise avait pour but d’ouvrir des comptoirs commerciaux en Chine, afin de pouvoir vendre plus aux chinois, mais comme Macartney refusa de s’incliner devant l’empereur, l’ambassade fut évidemment un échec. Jusqu’ici, la Chine exportait énormément de thé et de soie aux européens (et surtout du thé pour les anglais), la balance commerciale était donc clairement en faveur des chinois. Et honnêtement, au début, je trouvais le livre pas si mal que ça : ce n’est pas trop mal écrit, et comme on nous décrit de manière bien détaillée comment se déroule le trajet, tout va bien… Jusqu’à ce que l’ambassade arrive en Chine. Deuxièmement… C’est tout. Tout le reste, ça va passer du côté des choses négatives que j’ai à dire.
En commençant par le titre. L’Empire immobile, sérieusement, qu’est-ce que ça veut dire un pays immobile ? Bon, en réalité, cette expression vient de la dynastie des Qing, lorsque le pays s’est un peu replié sur lui-même et que du point de vue des occidentaux qui venaient une fois tous les 50 ans à peu près, ça ne bougeait pas beaucoup en apparence. ^^ Mais bon, en dehors de ça, la Chine est un pays qui a autant eu de contacts avec les pays voisins que n’importe quel autre pays, et même géographiquement, les frontières de la Chine ont quand même été très mobiles.
Après, le gros du problème ne vient pas du fait que le livre ne soit pas assez documenté, non ça, c’est plus que bon. Le problème vient du fait qu’en plus des témoignages, et de la documentation, ce livre contient le jugement de Peyrefitte, et ce jugement est toujours (TOUJOURS) en faveur des anglais, et contre les chinois. Pour lui la supériorité des anglais sur les chinois est évidente. Il concède seulement que certaines inventions ont été trouvées en Chine en avance (Comme la poudre à canon, le sextant, la boussole, l’imprimerie, « Mais ce n’était qu’un sextant primitif, que les occidentaux ont perfectionné » (P.360)), et comme la poudre à canon a ensuite été interdite, c’est la preuve pour lui du recul des chinois (c’est vraiment une si mauvaise idée que ça d’interdire la poudre à canon ?). Et l’ambassade diplomatique ayant été un échec, il félicite Macartney d’en avoir profité pour prendre des informations sur les emplacement des défenses et sur l’armée chinoise ET en même temps, s’étonne que les chinois soient méfiants (MAIS SERIEUX ? Oui).
En gros, voici l’histoire de la Chine des XVIII et XIXèmes siècles : Les anglais achètent du thé et de la soie à la Chine, mais comme ils sont près de leur pognon, ils envoient une ambassade en Chine qui demande aux chinois plus de commerce (c’est bien de nous vendre des trucs, mais faut en acheter aussi), mais aussi, des terres (oui, comme ça, gratos, les mecs demandent des terres où les lois anglaises s’appliqueraient, en Chine). Mais comme le traité n’est pas vraiment à l’avantage des chinois, ils refusent (sans blague, avec un ambassadeur qui refuse de saluer l’empereur ils attendaient quoi ?). Du coup, comme ils ne peuvent pas vendre leur biens officiellement, ils vendent clandestinement aux chinois… de l’opium ! (Non, ça ne pose toujours pas de problème à Peyrefitte, pourquoi ? ^^) Après quelques années, les autorités chinoises essayent de combattre la diffusion de l’opium, donc, un mandarin, récupère tout ce qu’il trouve, et brûle tout. Les anglais, scandalisés (parce que quoi, ce sont des marchandises comme les autres (authentique)), déclarent la guerre (la fameuse guerre de l’opium) aux chinois. Grâce aux canons et aux mitrailleuses (face aux mecs et leurs épées), et aussi aux informations de « l’ambassade », les anglais roulent allègrement sur la Chine, pillent le palais d’été de l’empereur avec l’aide des français, et comme traité de paix, les chinois sont contraints de rembourser les anglais de l’opium détruit (!) et de leur donner… Hong-Kong. Un auteur français très connu, un certain Victor Hugo (ça vous dit vaguement quelque chose non ? ^^) a tenté de dénoncer le pillage du palais d’été, qualifiant le palais de « merveille qui a disparu ». Réponse de Peyrefitte : « Quand même, il exagère la splendeur du palais… » (Moi, je ne dis plus rien…). Juste pour que vous sachiez, les chinois, de nos jours, en veulent encore à mort aux anglais et aux français pour ça.
Et bon, jusqu’à la conclusion tout va bien, puisque sa conclusion c’est 100% son avis sur le monde à partir de ça, et le mec, au calme, justifie allègrement la colonisation avec l’argument choc : qui peut se plaindre, tout le monde le fait ?
Bon, j’ai beaucoup râlé, mais je reconnais que ce livre reste un travail de recherche rare et poussé, et malgré tout ce que j’ai pu en dire de mal, je ne peux que le conseiller à tous ceux qui veulent en apprendre plus sur le XVIIIème siècle chinois. Si on peut faire abstraction du jugement de Peyrefitte, ça reste historiquement très intéressant ! ^^