Le Journal d’un Fou – Lu Xun

Dernièrement, j’ai lu Le journal d’un Fou, de Lu Xun, considéré comme un texte majeur de la littérature moderne Chinoise car c’est tout simplement la première fiction écrite en langue chinoise parlée. Avant cela, tous les textes étaient écrits en langue classique, compréhensible uniquement par une minorité d’élites. Et ce texte date de mai 1918, ce qui est quand même très récent, je trouve. ^^

Plus que le contenu, c’est le symbole qui est important dans ce livre. C’est la première fiction en langue vernaculaire chinoise, et le deuxième texte, après le manifeste de Hu Shi pour la modernisation du chinois écrit. Le journal d’un fou est également considéré comme un texte fondateur du mouvement du 4 Mai 1919 (← Wait ! What is this ?) Le mouvement du 4 mai représente une série de manifestations critiquant la décision du traité de Versailles, après la première guerre mondiale, de léguer les anciennes colonies allemandes en Chine au Japon, plutôt que de les rendre à la Chine (Si vous vous le demandez : je me suis un peu perdu dans la phrase aussi ^^). La Chine ayant été du coté des Alliés pendant cette guerre, on peut comprendre qu’ils n’aient pas vraiment été satisfaits de ce choix. ^^ Ce mouvement s’accompagnaient d’un boycott des produits japonais ainsi que d’une volonté de moderniser le pays et la littérature en abandonnant le chinois classique au profit du Chinois moderne.

Sacrée pression pour ce (petit) roman que de porter ce mouvement, mais à part ça, qu’en est-il du contenu ? Cette nouvelle est le journal d’un homme souffrant de paranoïa et de délire de persécution (sympa) : au début, il a l’impression que tous les hommes qu’il croise lui en veulent, puis son état évolue et il se convainc petit à petit que tous les hommes sont cannibales et veulent le manger. On trouve dans ce récit beaucoup de références à des moments de l’histoire ou de la littérature chinoise dans lesquelles des hommes se livrent en effet au cannibalisme (et également en médecine chinoise, manger un pain imbibé de sang humain était censé guérir la tuberculose). Ces références servent au « fou » à se convaincre que la société chinoise est cannibale depuis 4 000 ans. Mais le cannibalisme ici est plus un symbole qu’autre chose à mon sens. C’est pour moi l’équivalent chinois de Rhinocéros de Ionesco : il critique une certaine forme de dogmatisme. (Si je pensais un jour parler de Ionesco sur ce blog… ^^) Et si la première critique de Ionesco est dirigée vers les formes de totalitarisme, celle de Lu Xun est basée sur les pressions sociales (et propose une idée pour sortir de ces pressions). (SPOILERS ALERT ! Attention, je parle ici de la toute dernière phrase de la nouvelle, si vous voulez vous garder la surprise pour la lecture, allez à la fin du spoiler) Pour ces pressions là, il faut éviter de les transmettre de générations en générations. D’où le « Sauvez les enfants » en conclusion du récit : parmi les nouvelles générations, il peut y avoir des enfants qui n’ont pas encore eu ces pressions. (FIN DU SPOILER !)

Il n’empêche que, comme on l’a dit plus haut, la Chine a déjà connu des cas de cannibalisme, et ce même après la parution du Journal d’un fou. Et les dernières fois que ça s’est produit, c’était pendant la période maoïste : soit à cause de la grande famine pendant le Grand Bond en Avant dans les années 1958 à 1962, soit pendant la révolution culturelle entre 1966 et 1976 (C’est pas si vieux). Le cannibalisme pendant cette dernière période est vue par certains spécialistes comme une critique du capitalisme. Les victimes étaient des « ennemis de classe » et le cannibalisme devient une métaphore du capitalisme et de ses méfaits sur le peuple. (Oui, ils poussent la métaphore un peu loin.)

Le journal d’un fou, de Lu Xun, tire son titre du Journal d’un Fou de Nicolas Gogol.(Ouaip, un article sur une œuvre chinoise qui parle à la fois de Ionesco et de Gogol, si si ^^ ) Mais à part le titre et la forme, il n’y a pas l’air d’y avoir une autre ressemblance entre ces deux œuvres, mais je ne l’ai pas lu, donc si vous l’avez lu, n’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez. ^^

Bref, cette nouvelle a incontestablement un intérêt historique majeur. Mais ne vous attendez pas à une nouvelle à chute, ou a passer un grand moment à suspens. Ce qu’il advient des personnages, et notamment du « Fou », est précisé dans les premières pages, juste avant qu’on passe sur la forme « journal ». Et la préface de Jean Guiloineau est très instructive elle aussi !